À l’occasion de l’exposition Lucio Fontana, il a bien eu un futur (Musée Soulages, Rodez, jusqu’au 3 novembre), sous la direction de Paolo Campiglio et de Benoît Decron, catalogue Editions Gallimard, Paris /240 p., 35 euro.
J’ai fait la connaissance de Lucio Fontana à Albisola Marina pendant l’été 1966. Il faut dire qu’à l’époque j’étais encore lycéen et que je n’avais qu’une idée très vague de l’art moderne.
Et je l’ai revu en 1967. Il était presque toujours seul. Je n’avais aucune idée de qui c’était donc de l’œuvre qu’il avait accompli. Je n’avais pu connaître en fin de compte que les deux grandes sculptures noires en céramique de la suite Natures qui avaient été placée sur la promenade du bord de mer, décorée entièrement de mosaïques d’artistes contemporains.
La renommée d’Albisola était due à ses manufactures de céramique, dont une était dirigée par Tullio d’Albisola, ami et collaborateur de F. T. Marinetti. De très nombreux peintres et sculpteurs y sont venus créer des œuvres dans ces ateliers et c’était devenu une sorte de colonie où les plus grands noms se mêlaient aux plus modestes ou aux plus jeunes.
Cette belle exposition, et très complète, donne la faculté au visiteur de prendre la mesure de ce cheminement singulier de ce créateur argentin (il est né en 1899 à Rosario). Il est très tôt parti faire ses études en Italie. C’était la volonté de son père qui était sculpteur et qui avait étudié à l’Accademia di Belle Arti de Brera à Milan.
Après le collège à Varèse et à Seregno, il s’est inscrit à la Scuola degli Artefici de l’Académie milanaise. En 1917, il s’est porté volontaire et il a reçu la médaille militaire de bronze. Après quoi il a fréquenté la Scuola ufficiali de Turin.
Il est rentré en Argentine en 1923 et il a travaillé avec son père, manifestant son souhait de poursuivre une carrière artistique. Il est de retour à Milan quatre ans plus tard.
Il alors s’inscrit à l’Accademia di Belle Arti et a pour professeur Adolfo Wiidt, qu’il a beaucoup admiré. Trois ans plus tard, diplômé, il a commencé à travailler la sculpture dans une perspective personnelle, réalisant en 1930 L’Homme noir.
Deux ans plus tard, Il a exposé ses créations à la prestigieuse galerie Il Milione. Il a dès lors travaillé ses sculptures avec la céramique ou encore la mosaïque Bien qu’il fut figuratif, il s’est lié avec le mouvement Abstraction-Création.
En 1936 a paru une première monographie écrite par Edoardo Persico. Il a exposé plusieurs pièces dans le pavillon de la céramique au sein de l’Exposition universelle de Paris. Il est retourné en Argentine en 1940 pour participer à un concours. Il s’est installé à Buenos Aires en 1943 et y a enseigné.
En 1946, il rédige le fameux Manifiesto Blanco, qui est alors signé par ses étudiants. Il est retourné à Milan un an plus tard (son atelier a été détruit par les bombardements en 1943) Il a produit le Premier manifeste du spatialisme.
Il s’est rendu à Albisola pour faire de nouvelles sculptures. En dépit de ses déclarations et de son manifeste, il a désiré continuer son œuvre antérieure. Très vite, il s’est tourné vers les Concetti spaziali. Il a montré ses premiers Concepts spatiaux en 1959 lors de la IX Triennale de Milan.
Alors une profonde métamorphose de ses créations est arrivée, légèrement décalées par rapports à ses déclarations révolutionnaires, en partie inspirée par Albert Einstein. C’est à ce moment qu’il a commencé à fendre ses toiles monochromes ou à les poinçonnées.
Ces techniques préexistaient dans son oeuvre graphique. Mais là, elles ont marqué une rupture radicale avec l’art des années cinquante. Il était devenu l’un des artistes les plus radicaux de son époque. Il n’a plus cessé de décliner ces modalités formelles.
Il a d’ailleurs opté pour une attitude à double face: d’un côté, il peut passer pour un iconoclaste, mais, en même temps, pour un grand novateur. Cela va lui permettre d’obtenir le grand prix de la Biennale de Venise en 1964.
Puis il a sophistiqué ses compositions avec des pierres colorées par exemple. Sa gloire a été paradoxale. S’il était célèbre, en Europe et aux Etats-Unis, il restait assez solitaire, n’épousant pas les recherches des artistes italiens qui ont co-signé ses manifestes.
Il n’a eu une relation forte qu’avec Yves Klein quand il a exposé à la galerie Apollinaire à Milan (il lui a même acheté une toile)
Je revois encore aujourd’hui cet homme vieillissant mais encore très alerte, si seul dans la salle de ce café balnéaire de la place principale de ce petit bourg côtier de la Ligurie et je songe à nos conversations très libres et rougissant encore de mon ignorance car je conversais avec l’un des artistes les plus importants de l’après-guerre.