Santiago Arranz, la sphère des signes

De gauche à droite, Gérard-Georges Lemaire et Santiago Arranz
De gauche à droite, Gérard-Georges Lemaire et Santiago Arranz

L’Espagne d’aujourd’hui a perdu la plupart de ses grands créateurs

L’Espagne d’aujourd’hui a perdu la plupart de ses grands créateurs. Mais c’est un peu la même situation en Europe. De nos jours, seule la figure de Miquel Barcelò s’impose à l’échelle internationale. Il y avait bien le sculpteur Jaume Plensa, mais celui-ci est disparu récemment. Mais j’ai l’intime conviction que Santiago Arranz devrait être reconnu à sa juste valeur. Il a beaucoup exposé dans son pays et à l’étranger, il n’a pas encore gagné la
réputation de ses illustres prédécesseurs.

Une rétrospective de Santiago Arranz

Une grande exposition et deux publications récentes, pourrait déjà donner la mesure de son talent qui est indéniable. Il a su donner un nouvel élan à la peinture en générant une nouvelle manière de traiter ses sujets. Il n’a pas abandonné la figuration, mais a pu introduire dans ses compositions une pointe d’abstraction. Et encore plus dans ses collaborations avec les architectes, intégrant complètement l’œuvre qu’il a imaginée au sein de l’ensemble architectural. Dans la solitude de son atelier pyrénéen, il n’a de laisse d’inventer des solutions plastiques nouvelles ou déroutantes, mais sans jamais mettre à bas ce qui a été réalisé avant lui.

Influences artistiques et littéraires

On comprend vite qu’il a assimilé diverses leçons: celle des dadaïstes, celle des surréalistes, cell de la Nouvelle Objectivité allemande, etc. Mais il ne suit aucun de ces parcours, ni même ne les transcende. Et surtout, il n’est en phase avec aucun des grands courants de la figuration moderne. Au fond, on i, et il. Il a également beaucoup utilisé les œuvres des grands écrivains, comme modèle pour construite une suite parfois imposante, en commençant par Italo Calvino, avec ses Cités invisibles, puis avec Miguel de Cervantès, Franz Kafka et Federico-Garcia Lorca, son poète de prédilection (en se focalisant sur son voyage à New York, pour ne citer que ceux-là. Il ne s’est pas employé à illustrer leurs romans, leurs nouvelles ou leurs poèmes, mais il les a traduits dans son propre langage plastique tout en en conservant l’esprit. Enfin sachez que Santiago Arranz est un merveilleux et imprévisible virtuose car il est capable, selon l’idée qu’il a en tête, et qu’il ne cesse de peaufiner, de réutiliser les techniques picturales des manières des maîtres d’autrefois, mais sans jamais les plagier ou les copier, en métamorphosant ses formes en fonction de son sujet et de ses envies, sans la moindre contrainte. Il travaille essentiellement en découvrant des modalités novatrices. Les passé illumine ses inventions.

Un alphabet des signes ancienne et modernes

Dans cette exposition, qui est de caractère anthologique, il commence par montrer des compositions qui sont des sortes de frises où il fait apparaître la silhouette de bibliothèques
existantes qu’il avait souhaité utiliser comme clef de son aventure artistique à la fin des années quatre-vingt-dix. A la même époque, alors qu’il réfléchit sur l’architecture du couvent de Saint Augustin à Saragosse, Il plonge dans l’étude d’Augustin et de sa Cité de Dieu. Il tire de sa réflexion un imposant abécédaire visuelle, une sorte de caverne secrète où il a entreposé les signes qui lui sont utiles pour sa création, qu’elle soit en deux ou en trois dimensions. Cet abécédaire utilise les ressources des langues anciennes (par exemple, l’étrusque ou le latin). C’est un trésor dans lequel il puisse des signes qu’il peut conjuguer ensemble ou non. C’est une merveille qu’on aurait pu découvrir dans un scriptorium touché par la modernité, mais encore fidèle à ses vertus et aussi à ses fonctions anciennes. Il a ce don rare de faire de l’ancien avec du moderne, sans pour autant verser dans la nostalgie et en se révélant à la mesure de son temps. Il parle d’ailleurs de « récupération plastique de la mémoire », ce qui prouve qu’il pense avec beaucoup de discernement et d’inspiration. Ce libre retour sur saint Augustin est pour lui un des moyens qu’il emploie pour s’imprégner de philosophies parois révolues, parfois même oubliées, mais qui persistent à ous habite presque à notre insu. Nous avons, le plus souvent, rompu avec la pensée dogmatique des temps désormais révolus. Mais ils sont demeurés présents en nous, en secret. De plus, il a imaginé un vocabulaire spécifiquement destiné à l’architecture et s’intégrant tout à fait dans les volumes intérieurs d’un édifice nouveau. Il est, à mon avis, le seul artiste à avoir su intégrer ses œuvres dans la pierre ou dans tout autre matériau sans que cela soit une forme de collage, aussi habile soit-il. Il reprend le principe de la fresque, mais pas la technique, d’autant plus qu’il n’utilise pas la technique de la fresque, mais sculpte les parois. Quand il arrive de travailler avec des pigments, il aime souvent fait naître des contrastes bien tranchés, mais d’une violence très minimes. Ce petit volume, si riche, si intense, est un excellent moyen de découvrir la manière de créer de Santiago Arranz, quand il se retrouve seul dans son atelier pyrénéen. C’est une superbe expérience et un bel apprentissage pour nous. Il porte en lui une idée puissante, impérative, mais libre et légère en même temps, de la peinture, du dessin, de la sculpture et même de l’architecture. Tout est médité et pesé avec soin, mais sans pourtant nuire à la spontanéité du geste franc et élégant, au magnifique mouvement de ses formes très stylisées, et à une incroyable légèreté graphique.

Mi-Jupiter
MI-Jupiter de Santiago Arranz

Bestiaire fantastique

Son Bestiaire s’inscrit dans la très longue et copieuse tradition des grands ouvrages créés dans cette veine. Les bestiaires du Moyen Age Âge sont apparus en Angleterre au douzième
siècle. En France, le premier ouvrage de ce genre connu a été réalisé par Philippe de Thaon
vers 1120. D’autres vont suivre rapidement avec ave Gervaise, Guillaume le Clerc, Pierre de Beauvais. Ce genre s’est donc inscrit très vite dans la littérature française et ailleurs en-Europe. Il y a aussi eu la traduction du livre d’Albert le Grand. Ils succèdent aux Physiologus de la Grèce antique que l’on voit apparaître à Alexandrie au IIe siècle. Et il y a eu les Etymologies d’Isidore de Séville au VIIe siècle. Et puis est venu Bruno Latini (vers -1220-vers1294), qui a écrit les Livres dou Trésor, publiés en 1528. En quelque sorte, le bestiaire a toujours été un plaisir pour les écrivains. Et la période récente en a vu d’autres paraître, comme celui de Julio Cortazar. C’est l’artiste qui a fait le choix de tous les animaux qu’il souhaitait représenter et l’auteur a suivi ses directives. Il y a comme des lettrines peintes en noir pour chaque animal élu, et l’ouvrage contient aussi des illustrations en couleurs, indépendantes, chacune dans son petit chapitre qui s’intéresse à un animal. C’est absolument superbe. Santiago Arranz a su trouver le juste milieu entre le zoomorphisme et l’abstraction. Nous sommes loi, certes, du Manuel de zoologie fantastique de-Jorge Luis Borges, mais il y a quelque affinité?. Arranz demeure « réaliste » (pour ainsi dire) et Borges,-lui,-a-plongé dans l’imaginaire-pur. Mais leurs pensées pourraient se rencontrer en un oint donné.

Espacios de tiempo

Reste encore à parler d’un petit livre intitulé Espacios de tempo. Dans ces pages, il a consigné un nombre important de figurines, toujours en noir, qui constituent un alphabet
idiosyncrasique. On pourrait le regarder comme un compendium d’un répertoire plastique
qui lui a servi autant pour le dessin que pour la peinture et surtout pour l’architecture, pour
laquelle il a su si bien intégrer ses oeuvres. Ces trois ouvrages constituent un ensemble
superbe pour découvrir la galaxie en deux et en trois dimensions de Santiago Arranz, qui est en réalité un monde immense et une source de plaisirs intenses.

 

 

Santiago Arranz, la linea de la Historia, Ayuntamento de Zaragoza, Casa de los Morlanes, 96
p.
Espacios de tiempo, Santiago Arranz, Centro de Historia, Zaragoza.
Bestiaire, Santiago Arranz,